Quand soudain, accrochée à l’écorce d’un pin, elle était là…

Au matin du vendredi 24 mai 2024, les salariés du CEN Nouvelle-Aquitaine chargés du volet Odonates de l’Atlas de Biodiversité Communale de la communauté d’agglomération du Grand Périgueux (24) se préparent à prospecter des points d’eau à la recherche de libellules. C’est sur un ensemble d’étangs localisé à Bassillac-et-Auberoche qu’ils jettent leur dévolu. La météo est favorable (pour une fois dans ce printemps humide) et les sites semblent propices à une belle diversité d’espèces.

Une fois sur le premier étang, les espèces fusent à coup d’Agrion délicat, d’Agrion jouvencelle, de Pennipatte orangé, de Gomphe gentil, d’Anax empereur, de Trithémis annelé, d’Orthetrum réticulé…avec supplément Agrion de Mercure (espèce protégée) profitant d’un petit écoulement. Ce premier point d’eau possède un ensoleillement favorable, des berges végétalisées à pente douce clairsemées ici et là de quelques arbres et arbustes. La recherche est active et porte sur les imagos, tout comme les exuvies (mues que laissent les larves lorsqu’elles sortent de l’eau pour accomplir leur métamorphose).  Le substrat et la pelouse à proximité des berges, les joncs, les arbres et arbustes, tout est passé au peigne fin. Quand soudain, accrochée à l’écorce d’un pin, elle était là !

La Cordulie splendide (Macromia splendens pour les intimes) est observée sous la forme de 8 exuvies solidement fixées à leur support.
Le désarroi est total, pourquoi ? Comment ? Cette découverte est plus qu’inattendue et ahurissante pour nos comparses.

Mais, afin de comprendre leur état émotionnel, mettons notre histoire sur pause et penchons-nous sur la biologie, l’histoire et la géographie de l’espèce.

La Cordulie splendide est une libellule “vraie” (Anisoptère) de la famille des Macromiidae et seule représentante de sa famille et de son genre en Europe.
Aujourd’hui connue sur la Péninsule Ibérique (où elle s’est sans doute réfugiée durant la dernière période glaciaire) et au sud de la France (cantonnée, pour l’instant, à la région Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), elle reste toutefois peu abondante si-ce n’est rare. De forts enjeux de conservation concernent donc cette espèce classée vulnérable sur les listes rouges mondiale et européenne ainsi qu’à l’échelle nationale. Plus localement, les listes rouges d’Aquitaine et du Poitou-Charente classent Macromia splendens en danger d’extinction. De ce fait, l’espèce est strictement protégée à l’échelle métropolitaine et européenne.

La Cordulie splendide est inféodée aux moyens et grands cours d’eau, suffisamment profonds où elle préfèrera les eaux lentes et chaudes ainsi que des berges ombragées. Elle peut secondairement s’observer dans des vasques de cours d’eau ainsi que plus rarement en contexte stagnant, comme l’atteste son observation sur la base de loisir de Vère-Grésigne.
Ses larves, aquatiques, se développent durant 2 ans dans des eaux au substratum riche en sable et en matière organique végétale.
Lors de l’émergence, ces dernières sortent de l’eau puis se fixent à différents supports. Sur les arbres, elles peuvent monter à plusieurs mètres de haut, rendant sa détection plus délicate. L’exuvie est typique, de grande taille, en forme d’araignée, elle se caractérise par de longues et fines pattes ainsi que d’une corne sur le sommet de la tête.
Les adultes sont aussi de grande taille et arborent une robe alternant entre le noir et le jaune le long de l’abdomen et du thorax. En France, elle peut être confondue avec les deux espèces de Cordulégastre (Cordulégastre bidenté et Cordulégastre annelé) possédant des caractéristiques morphologiques similaires à distance.

Nous pouvons donc comprendre le choc émotionnel vécu par nos compagnons de terrain en tombant sur cette rareté. Pour terminer la prospection en beauté, une dernière exuvie fut trouvée sur une île au milieu du premier étang, cette fois-ci au milieu des joncs.

Mais cela ne s’est pas arrêté à ce point d’eau. Un mois après, un adulte (sûrement un mâle) a été observé en vol sur un point d’eau au sud-ouest de Sanilhac. Puis, deux semaines après, sur l’Isle, à Sarliac-sur-l’Isle, une exuvie et un adulte en vol (sûrement une femelle) ont été vus.

Ces découvertes, notamment celles des deux plans d’eau, nous permettent d’ouvrir le champ des possibles quant à l’écologie de l’espèce avec de futures observations surprenantes et prometteuses à espérer pour la conservation de Macromia splendens.